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La Fabuloserie a 40 ans

Le Monde en parle (et en reparle : samedi 11 février 2023) :

“Il y a quarante ans, l’architecte Alain Bourbonnais (1925-1988) et son épouse, Caroline (1924-2014), ouvraient au public ce qui était jusque-là leur maison de campagne, à Dicy (aujourd’hui Charny-Orée-de-Puisaye), dans l’Yonne. Cet anniversaire, que fête judicieusement la Halle Saint-Pierre, à Paris, est un bel hommage à une aventure familiale (leurs filles continuent d’animer le lieu) qui a débuté par la découverte, en 1946, de l’exposition d’art brut organisée par Jean Dubuffet à la galerie parisienne Drouin. L’annonce, en 1971, par le même Dubuffet que sa collection allait se réfugier en Suisse, à Lausanne, incita Bourbonnais à prendre le relais, avec la bénédiction du maître. Il ouvrit d’abord une galerie, l’Atelier Jacob, consacrée à ce qu’il préférait nommer « l’art hors-les-normes », dont il semble avoir été le meilleur client.
Soutenue par le regretté critique Michel Ragon (1924-2020), exposée par Suzanne Pagé en 1978 à l’ARC, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris sous le titre « Les Singuliers de l’art », la collection des Bourbonnais est donc en partie visible par le public parisien, assez, on l’espère, pour lui donner l’envie, aux beaux jours, d’aller la voir dans ce lieu magique qu’est Dicy.”

Harry Bellet
« La Fabuloserie », Halle Saint-Pierre, Paris. Du 25 janvier au 25 août 2023.
Hallesaintpierre.org

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/06/les-expositions-a-ne-pas-manquer-en-2023_6156803_3246.html


La Fabuloserie, à la Halle Saint-Pierre : une bouffée d’art frais

11/02/2023 – Le Mode – Harry Bellet

Le musée parisien d’art brut expose la collection d’œuvres hors norme, surprenantes et fantasques d’artistes ordinaires issue de la maison-musée d’Alain et Caroline Bourbonnais.
Dans un monde de l’art où se multiplient les noces crapuleuses (art et luxe, art et argent, art et spéculation, art et statut social), il y a de temps en temps des bouffées d’art frais. Et aussi des oasis. La Halle Saint-Pierre, à Montmartre, est de celles-là. Tout comme La Fabuloserie, à Dicy (aujourd’hui Charny­-Orée-­de-­Puisaye), dans l’Yonne. La première permet à la seconde d’hiverner dans la capitale, en attendant son ouverture annuelle au printemps et tout l’été. Et les habitués de la seconde seront bien inspirés de visiter la première : on y montre des œuvres qui ne sont que rarement sorties des réserves.
Ce qu’on nomme ici l’art frais, l’artiste Jean Dubuffet (1901-1985) l’avait baptisé « art brut ». Il tenait à ce terme au point de tenter, intellectuellement, d’en faire une marque déposée. Lorsqu’il annonça, en 1971, que la collection qu’il en avait constituée – dans son cas plutôt des productions d’aliénés – allait trouver, devant le désintérêt des autorités françaises, refuge à Lausanne (Suisse), l’architecte Alain Bourbonnais (1925-­1988) et son épouse, Caroline (1924­-2014), décidèrent de prendre le relais. La correspondance entre les deux hommes, publiée en 2016 (Collectionner l’art brut, avec une présentation de Déborah Couette, aux éditions Albin Michel), montre que cela ne s’est pas fait sans frictions.
Notamment parce que Bourbonnais avait eu l’idée saugrenue de créer d’abord, en 1972, une galerie, l’Atelier Jacob, sise à Paris dans la rue du même nom. Or l’ancien marchand de vin qu’était Dubuffet ne pouvait supporter (même s’il l’achetait à vil prix, et peut-être aussi pour cela) qu’on fasse commerce de cet art-là. Idée saugrenue aussi, tant chez l’un que chez l’autre, parce que Bourbonnais qui, pour éviter les colères fameuses de Dubuffet préféra au terme « art brut » celui d’« art hors-les-normes », fut le principal sinon le seul client de sa boutique.
Lorsqu’il mit la clé sous la porte en 1982, pour ouvrir La Fabuloserie dans sa maison de campagne, il pouvait toutefois s’enorgueillir d’avoir, avec la complicité et le soutien de son ami le critique Michel Ragon, envahi l’Institution : en 1978, Suzanne Pagé montrait au Musée d’art moderne de la Ville de Paris une exposition conçue à leur initiative sous le titre « Les Singuliers de l’art » : 350 œuvres prêtées par Alain et Caroline Bourbonnais. Ce fut l’une des rares, sinon la seule manifestation consacrée par un musée français à cet art à nul autre pareil.
Si ce sont souvent des gens simples, leurs productions sont généralement d’une complexité inouïe
Pourquoi ? Parce qu’il est l’ouvrage de femmes et d’hommes du commun. Pas toujours malades mentaux, pas toujours autodidactes – Alain Bourbonnais lui-même, tout diplômé d’architecture qu’il ait été, a réalisé des sculptures d’une sauvagerie et d’un humour décapants –, mais toujours portés par un besoin plus grand qu’eux, celui de créer, de donner une forme à leurs mondes intérieurs. Le monument en la matière, c’est le Palais idéal du facteur Cheval, à Hauterives (Drôme). Un autre est installé et visible à Dicy, c’est le Manège de Pierre Avezard (1909-1992), dit Petit-Pierre, garçon vacher de son état et auteur d’un des automates les plus surprenants et les plus vastes du monde, doté d’engrenages que l’on croirait pensés par un ingénieur du paléolithique.
On découvre, à la Halle Saint-Pierre, les œuvres de cinquante artistes qui ont quelques caractères communs. D’abord, si ce sont souvent des gens simples, leurs productions sont généralement d’une complexité inouïe. Rares sont celles (ou ceux) qui, comme Marie Rose Lortet, tracent des épures (les siennes font songer à des modélisations en 3D, mais elle les réalise avec des fils de laine) dans l’espace. Non, le plus souvent, on est dans la profusion, la démesure, mais aussi le grotesque, mieux, le gargantuesque, car ce qui caractérise généralement tous ces gens, c’est l’exubérance et la générosité. De nos jours, c’est réellement réjouissant.

« La Fabuloserie ». Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, Paris 18e. Jusqu’au 25 août 2023.

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/11/la-fabuloserie-a-la-halle-saint-pierre-une-bouffee-d-art-frais_6161386_3246.html


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