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Collection : Caroline DAHYOT

Caroline DAHYOT, Villa Verveine, le 17 février 2023 – photo JFG
Caroline DAHYOT, poupée, collection Musée Art et Déchirure – photo JFG
Caroline DAHYOT, poupée, détail, collection Musée Art et Déchirure – photo JFG

Caroline chante :

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Catalogue Festival Art et Déchirure 2017 :

“À la fois atelier, demeure et résidence de création, la Villa Verveine, en Picardie, est le quartier général de Caroline Dahyot. La façade de sa maison, qu’elle a entièrement peinte, a déclenché l’opprobre de la mairesse du village, au point d’en faire les manchettes télévisées ! En plus de la peinture et du dessin, Caroline Dahyot crée aussi des poupées et des marionnettes. Son travail est chargé d’amour et de tendresse. Ses scènes familiales et ses couples enlacés aux couleurs vives, aux empreintes post-punk, démontrent beaucoup de charme, de naïveté et de beauté. Pas une ombre de violence dans ce travail frais et spontané, marqué par une vraie patte, une authentique signature, celle d’une artiste avec un cœur à fleur de peau. Elle a été artiste en résidence à La Galerie des Nanas à l’été 2016.”

Texte de Jean Robert Bisailon (Galerie des nanas avec Martine Birobent) pour l’exposition État Brut à Montréal. (2017)

Caroline DAHYOT, Villa Verveine, photo de Jacques Yves GUCIA pour la revue Artension, n° 159 

Catalogue Art et Déchirure 2016 :

“Je ne me souviens plus de mon premier abandon. Je n’ai que la sensation de ce vide angoissant pour une enfant. Je l’ai comblé par l’idée de ma future famille. J’étais obsédée par la maternité. Ma première poupée a été conçue lors d’une séparation forcée d’avec ma fille. En 2006 quand le père de mes enfants et moi nous séparons, je commence de façon obsessionnelle à coudre et dessiner pour parer à cet abandon et réparer la chute d’un idéal. Depuis les abandons se sont succédés me menant à chaque fois vers des petits drames. Et je multipliais les actes magiques pour ne pas perdre l’amour de l’amoureux suivant, pour ne pas mourir, pour avoir l’argent suffisant ; jusqu’à aujourd’hui. Un matin je me suis levée sans avoir peur de la solitude, sans avoir besoin d’un amoureux pour me sauver. Mes actes magiques n’ont pas eu l’effet souhaité mais ils m’ont accompagné dans ce chemin pour la libération.”


Interview de Caroline DAHYOT par Roberta TRAPANI
Parcours irréguliers
9e édition de la biennale hors normes, septembre et octobre 2021
réalisation et montage Danilo PROIETTI

j’ai passé toute ma scolarité dans une école religieuse avec uniforme, donc quelque chose d’assez strict et j’étais très timide, j’ai pleuré jusqu’en terminale en allant à l’école tellement c’était horrible pour moi, j’étais vraiment très très très très timide, j’avais peur de tout, j’osais même pas aller dans la cour de l’école, donc je pense que cet univers c’est ce qui m’a permis d’exister en fait, par exemple quand je vois là par exemple je suis à l’aise parce que c’est un peu une famille l’art brut, l’art singulier, je connais un peu tout le monde, mais si je suis dehors, sans ma maison avec des gens que je connais pas, mais c’est horrible

j’avais un grand frère qu’était punk, mon frère aussi il a eu une éducation religieuse et il s’est fait virer parce qu’il était trop punk et puis je crois qu’il a fait des fugues, mais moi j’étais assez sage en fait, tu vois, j’ai… en tout cas si j’ai fait une crise d’adolescence elle était intérieure, mais pas extérieure, j’étais très introvertie et je piquais tous ses disques de punk pendant qu’il était à l’internat et puis il avait une crête jaune, ou je sais plus, tout rasé et je me disais ouah il ose, je le regardais comme ça, disons que ça m’a montré l’explosion, qu’on peut aller hors limite

après j’ai fait une école de dessin, mais je restais à un peu timide, et après j’ai eu des hallucinations et je voyais des pendus, enfin je voyais des choses assez horrible, et là j’ai commencé à vraiment dessiner des choses qui étaient en moi, et là ça a été vraiment le début, ça, mon frère plus ça, ça a été la graine qui a fait que ça a pu exploser, ça a vraiment démarré quand le père de mes enfants en fait m’a quittée, on habitait un petit village, et moi j’avais pas de travail pas de voiture ni rien et là je me suis lâchée et puis en plus comme je…en fait quand je vivais avec lui, je pouvais pas peindre, parce que quand tu vis avec quelqu’un c’est compliqué

je raconte pas des histoires mais je projette un avenir qui serait heureux, c’est à dire qu’il y a toujours… avant il y avait toujours mes enfants mais j’ai décidé d’arrêter de le faire parce que je trouvais que pour eux c’était lourd aussi, je les dessinais tout le temps, et il y a toujours moi et un amoureux potentiel, parce que c’est un peu compliqué pour moi ça, et tout va bien, mais il y a quand même le monde, ça part toujours d’un chaos, donc il y a souvent des événements, on le voit pas, mais qui sont liées à l’actualité, mais je projette quand même un monde qui me semble idéal, mais c’est pas des histoires que je raconte, c’est des projections

ma première création c’était à 6 ans à l’école parce que j’étais dyslexique et une maîtresse a bien aimé, elle a trouvé ça joli, donc après j’ai beaucoup dessiné, mais à 28 ans j’ai montré mes dessins et on m’a dit qu’ils étaient moches donc là j’ai fait des poupées, des poupées de toute ma famille parce que je voulais pas qu’ils meurent et tout ça, les poupées j’en fais encore mais elles sont différentes des premières poupées, les premières poupées c’était vraiment pour les membres de ma famille, il y avait un organe par personne, et après c’était des poupées plus pour trouver l’amoureux, après quand j’avais un amoureux c’était pour pas le perdre, mais je l ‘ai toujours perdu, donc souvent il y a des vrais cheveux, il y a des mots et maintenant il y a plus des poupées pour rencontrer l’amour, à nouveau

je ne sais pas si un jour je suis vraiment apaisée si je vais continuer à créer, c’est juste pour supporter le quotidien, ou l’idée que… la vie c’est quand même complexe, enfin…qu’on peut mourir d’une minute à l’autre.

j’adore les animaux, vraiment très fort, j’ai toujours adoré depuis que je suis petite et en plus quand j’ai été triste mes chats m’ont beaucoup consolée, j’ai vraiment une belle relation avec eux

quand j’ai commencé à faire mon appart je connaissais pas l’art brut enfin… à part que je travaillais à Beaubourg et que je connaissais Dubuffet, Chaissac, mais voilà je n’étais pas plus intéressé que ça et quand j’ai décoré mon appartement j’ai des amis qui m’ont offert aux éditions Taschen je sais plus si c’est… Mondes imaginaires, voilà

moi je voulais pas être spécialement dans l’art brut, l’art singulier, en fait on s’était séparé avec le père de mes enfants depuis une semaine, mais depuis très longtemps j’avais un petit numéro qu’on m’avait donné d’une dame, d’une artiste qui s’appelle Martine Mangard qui travaillait à la MJC et je suis allée lui montrer mes dessins parce que c’était soit ça, soit je travaillais à l’usine et je me suis dit laisse-toi la chance de faire autre chose quoi, parce que dans mon village c’est l’usine, et donc j’ai été montrer mon travail à cette femme et elle m’a pris sous son aile, là il y a Vincent Prieur, un artiste, qui est venu voir mon travail à la MJC et il m’a mise à Art et Déchirure et après ça a fait tac-tac-tac, mais je voulais pas être dans l’art singulier, l’art brut, c’est pas nous qui décidons, je trouve

je chante super faux oui, mais en fait ce que j’aime, dans mon travail c’est pareil… en fait j’étais nulle à l’école en chant, il y a plein de choses où j’ai été nulle, mais j’adore utiliser toutes les matières où j’étais nulle et en faire quelque chose, c’est pareil j’ai eu 0 en couture à l’école et c’est pour ça que j’aime bien, j’aime bien… enfin utiliser un truc où on était censé être nul

je sais pas si j’ai vraiment une technique à part que c’est de l’acrylique feutre, mais après il y a du collage parfois mais en ce moment j’en ai marre du collage donc j’en mets plus, j’ai pas l’impression d’avoir vraiment une technique… c’est hypnotique, en fait ça me permet d’apaiser, avec les petits traits ça m’apaise, je pense, mais j’ai pas toujours eu cette technique, la technique ça évolue, après on sait pas forcément pourquoi, et les mots c’est aussi pour ça, pour ancrer dans une réalité, le mot pour moi c’est ce qui ancre le rêve dans la réalité, parce qu’en fait je me sens pas incarnée et je rêve de m’incarner, alors que tout le monde me dit que je le suis, oui mais moi je me sens pas incarnée, et le mot c’est ce qui va m’aider à m’incarner, connaître les limites de son corps son coeur son âme sa maison, ça c’est super important parce que j’ai beaucoup de mal à mettre des limites, c’est ma problématique, et donc je fais le max pour y arriver

j’étais gardienne à Beaubourg donc j’imagine qu’il y a plein d’artistes qui m’ont inspirée, alors il y avait Frida Kahlo qui m’a beaucoup inspirée parce que quand j’ai gardé sa salle j’ai vomi tellement j’ai senti sa douleur donc après je me suis intéressée à son histoire

ah oui j’adorais Niki de Saint Phalle, son histoire aussi, puis je les gardais à Beaubourg donc il y en a qui m’ont dit Chagall, j’ai gardé la salle de Chagall, je me souviens que j’ai gardé beaucoup de salles donc j’imagine que ça rentre même inconsciemment, quoi

quand je crée pas je suis vraiment très triste et si je crée pas pendant plusieurs jours c’est… je redeviens très très triste… je crois que ça me permet de prendre ma place et puis de pas être angoissée et de pas douter, d’arrêter de douter, c’est le seul endroit où je doute pas, sinon je doute tout le temps, tout ce que j’ai dit, j’ai peur d’avoir dit une bêtise… quand je dessine je doute pas, même si je trouve que je suis pas forte, je m’en fous, en fait je fais

(Verbatim établi par Jean-François GUILLOU pour le Musée Art et Déchirure)


À lire également le reportage-portrait de Bérengère Desmettre (déc. 2022)


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